Philobitude
Né en 1936 en Corée du Sud
Lee Ufan est un artiste et critique d’art connu pour sa participation au mouvement japonais du Mono-Ha. Par l’approche orientale et l’appréciation de la phénoménologie occidentale dans son travail, l’artiste est l’un des plus importants peintres contemporains asiatiques.
Lee Ufan, qui a grandi dans une famille traditionnelle, étudie la peinture et la calligraphie auprès de plusieurs maîtres aux Beaux-Arts de Séoul. En complément de ses études, le jeune peintre étudie la pensée asiatique et son évolution et choisit de s’installer au Japon en 1956. Attiré par de nouveaux modes d’apprentissage, l’étudiant se lance alors dans des études de philosophie orientale et moderne. Influencé par des penseurs tels que Laozi ou Zhuangzi, Lee Ufan y associe des courants de pensée inspirés de Nietzche et Maurice Merleau-Ponty. Après avoir découvert les sculptures de Sekine Nobuo, Lee Ufan cherche de plus en plus à fluidifier les relations entre le monde matériel et celui de la pensée. L’artiste s’investit alors dans un art minimaliste qui sera sa marque de fabrique, précisant qu’« une banale plaque de métal pourrait être une pensée. Les vagues pierres pourraient être l’air. L’espace de résonance de l’œuvre s’est déployé, vacillant, alentour…». L’artiste résume ainsi son approche : « Je ne cherche pas à verbaliser le monde, à me l’approprier, mais à être relié à lui, à le percevoir ».
En 1967, Lee Ufan cofonde le mouvement minimaliste Mono-Ha (« l’école des choses ») qui perdurera jusqu’à la fin des années 1970 et qui a vocation à faire coexister des matériaux produits par l’Homme avec des matières d’origine naturelle et, pour l’essentiel, non modifiés. Au sein du mouvement, son acolyte le sculpteur Sekine voit en Lee Ufan le théoricien susceptible de l’aider à développer sa propre pratique artistique. Lee Ufan soutient en effet que la tendance moderniste – artistique ou philosophique – créé une triple inégalité : dans la manière dont les artistes manipulent des matériaux à des fins expressives, dans la soumission du monde naturel au contrôle humain et dans les inégalités coloniales qui permettaient à certains groupes d’asseoir leur domination. A ce titre, Lee Ufan ne cherche pas à faire prévaloir l’art contemporain asiatique sur l’art occidental, une ambition qui fait office de fil conducteur dans son travail depuis les années 1960. En délaissant les matériaux classiques utilisés par les artistes contemporains, Ufan se concentre essentiellement sur la symbolique en utilisant des formes simples telle que le point, la ligne ou la courbe.
On le comprend, le travail de l’artiste est profondément influencé par la philosophie, discipline qu’on peut même considérer comme son inspiration première. Il l’étudie, la comprend et l’adapte à sa propre vision. Son travail de 1969, portant sur l’objet et sa possible animation à travers l’art, découle directement de l’influence d’un philosophe japonais Kitaro Nishida. Exposé dans le monde entier, ses œuvres sont souvent rapprochées de l’Arte Povera, un mouvement italien des années 1960 en réaction à l’industrialisation à outrance de la société de consommation. L’Arte Povera, et son fer de lance Giuseppe Penone, vise notamment à rendre des objets insignifiants, tels que des troncs d’arbres coupés, signifiants. Ces deux mouvements se rejoignent donc dans la volonté de donner une importance aux matériaux naturels non transformés.
Depuis 2010, un musée à Naoshima au Japon est entièrement consacré à Lee Ufan. Conçu par l’architecte vedette Tadao Ando, le bâtiment joue sur la lumière et l’obscurité en donnant une place primordiale à l’humain dans un espace visible – édifice, jardin – ou invisible – le cosmos. En 2002, Lee Ufan fait une donation d’une centaine d’œuvres au Musée National des Arts Asiatiques Guimet (MNAAG), permettant ainsi un enrichissement considérable de la collection d’art coréen de l’État français.
Cassandre Costa