Pierre Chareau naît en 1883 à Bordeaux dans une famille d’armateurs. De 1900 à 1908, après avoir hésité entre peinture et musique, il étudie aux Beaux-Arts de Paris avant d’intégrer l’entreprise d’ameublement britannique Waring and Gillow en qualité de dessinateur calqueur. Ces années d’apprentissage permettent au jeune homme de se familiariser avec les essences de bois alors utilisées par les ébénistes de la compagnie. Plus important encore, c’est là que le futur architecte développe ce sens si personnel de l’esthétique qui aboutira à une relecture pointue et personnelle de l’Art Déco. En 1918, il s’installe à son compte, réalisant meubles et luminaires tout en répondant à des commandes d’architecture de façon plus ponctuelle.

En 1925, Pierre Chareau est présent au célèbre événement organisé par la Société des Artistes Décorateurs à l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de Paris. Il y dévoile un spectaculaire bureau-bibliothèque pour l’ambassade de France idéale (aujourd’hui conservé au Musée des Arts Décoratifs à Paris) qui contribue à le faire éclore sur la scène des arts décoratifs en France. A 42 ans, Chareau prouve sa capacité à créer du mobilier polyvalent, facile à déplacer, qu’il place dans des décors suffisamment modulables pour briser la symétrie imposée dans le mobilier de l’époque. Pourtant, quatre ans plus tard, en réaction à la rigidité de certains de ses confrères, il cofonde l’Union des Artistes Modernes qui prône l’application de principes d’avant-garde dans les arts décoratifs. Dans ses créations, Chareau mêle bois précieux et métal, comme le fer, pour mieux embrasser les irrégularités du travail à la main, souvent non poli mais fréquemment martelé.

Au début de sa carrière, Chareau s’investit dans plusieurs petits projets de décoration intérieure, l’un des premiers étant la conception d’une chambre-bureau pour son ami le Dr Dalsace. Le succès d’estime obtenu au Salon d’Automne à Paris le convainc de poursuivre dans cette voie et à concevoir davantage de meubles et de luminaires. Le chef-d’œuvre incontesté de Pierre Chareau est la Maison de Verre, conçue entre 1928 et 1931 pour ce même Docteur Jean Dalsace et son épouse Annie, en collaboration avec l’architecte néerlandais Bernard Bijvoet et l’artisan métallurgiste français Louis Dalbet. Ce lieu unique en son genre, mi-habitation mi-cabinet médical, est alors l’une des premières maisons en France pensée entièrement en acier et en verre. Rapidement, Chareau devient le chantre des matériaux industriels couplés aux lignes épurées du modernisme.

Achevée en 1931, la Maison de verre ouvre de nouvelles perspectives pour Pierre Chareau qui répond désormais à de plus en plus de commandes exclusives passées par de riches clients, qu’il s’agisse de golfs, d’hôtels ou de résidences privées. Également collectionneur à titre personnel, Chareau possède des œuvres de Mondrian, Picasso ou encore Modigliani. Mais lorsque les nazis envahissent la France, l’architecte, d’origine juive, est contraint de vendre ses tableaux pour financer sa fuite à New York en 1940.

Aux États-Unis, Pierre Chareau tente péniblement de se refaire un nom, exposant à de nombreuses reprises mais jamais retrouver le succès qu’il avait connu en Europe. Apprécié du microcosme artistique new-yorkais, le décorateur réalise en 1948 l’atelier du peintre Robert Motherwell à East Hampton – désormais détruit –  en réutilisant des surplus de l’armée américaine. Pourtant, déraciné et quasiment oublié en Europe, Chareau décède en 1950, laissant derrière lui une œuvre pionnière d’une rare cohérence stylistique.