A la même époque, Antonio Segui se rend également sur le continent africain d’où il rapporte de nombreux objets, premiers témoins de la constitution d’une collection personnelle. De retour en Argentine, il expose pour la première fois en 1957 dans sa ville d’origine, avant de repartir pour un autre voyage, plus long cette fois, en Amérique du Sud, qui se conclut par son installation au Mexique. Là, il se forme aux techniques de la gravure, une des grandes caractéristiques de son travail.

Ses débuts sont marqués par l’influence des graveurs allemands du début du XXe siècle, à l’instar d’Otto Dix et de George Grosz, laquelle se traduit par la mise au service du trait au profit de l’expression de l’humour et de la fantaisie. En 1963, après être retourné en Argentine pour deux ans, l’artiste décide finalement de s’installer à Paris, l’année même où ses œuvres représentent son pays d’origine lors de la Biennale se tenant dans la capitale française. Par la suite, il sera d’ailleurs interdit d’entrée sur le sol argentin après des caricatures moquant la situation politique de son pays.

A Paris, où il travaille pendant une longue période, sa production artistique évolue : d’abord volontiers expressionniste, elle accueille de plus en plus d’humour et d’absurde, et moque avec aisance les actes de l’homme qui se débat tant bien que mal dans ce monde qui l’entoure. Déjà certains personnages émergent de cette production, comme El Senor Gustavo, affublé de son chapeau et représenté comme l’alter ego de l’artiste. Le décor que Segui met en place sert de terrain d’expérimentation à ces hommes marqués par une angoisse existentielle profonde, batifolant avec des gestes comiques et humoristiques dans des scènes destinées à faire rire tout en provoquant la réflexion du spectateur. Pour l’historien de l’art Daniel Abadie, Segui multiplie ces personnages afin d’exprimer une vision politique de l’individu, plongé dans une vie agitée, moderne et presque étouffante.

A partir des années 1970, les toiles de Segui intègrent des éléments autobiographiques, présentant ainsi des sujets inspirés des paysages argentins, du décor urbain de Paris, ainsi que de ses nombreuses marches. Un titre revient en permanence : « A vous de faire l’histoire », renvoyant le spectateur à sa propre condition d’individu et interrogeant directement sa volonté et sa capacité d’action dans le monde. Ses techniques sont diverses, faisant de lui un artiste polyvalent : gravure, dessin à la plume, au crayon, au fusain ou au pastel… Sans pour autant être un artiste engagé, Antonio Segui dérange, comme en témoigne son interdiction de séjour sur le sol argentin.

Il faut dire que son œuvre se diffuse rapidement et acquiert une certaine ampleur. Ainsi Antonio Segui, dès le début de sa vie parisienne, est-il exposé dans plusieurs événements artistiques internationaux, comme à la Biennal Internationale de Cracovie, en Pologne, ou au Salon latino-américain de Caracas au Venezuela, sa double identité américaine et européenne lui permettant sans doute de toucher un public plus large.

Du reste, il reçoit en 1983 le titre de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres par la République française, une décoration qui vient confirmer l’importance de son œuvre dans l’histoire de l’art moderne. Dans la deuxième partie de sa carrière, il s’installe à Arcueil, dans l’atelier qu’il s’est aménagé dans sa propriété. Revenu à plusieurs reprises, par l’intermédiaire de son travail artistique, au thème de sa ville natale Cordoba et de son pays d’origine, Antonio Segui s’éteint le 26 février 2022 à Buenos Aires.

Lucie Rollin