On raconte qu’il est remarqué par un client d’un café de Craiova tandis qu’il joue du violon avec un instrument qu’il a fabriqué de ses propres mains. Ce client prend le jeune fugitif sous son aile et l’aide à entrer à l’École des Arts et Métiers de la ville où Brancusi passe quatre années brillantes avant de rejoindre les Beaux-Arts de Bucarest. Cette ascension légendaire éclaire d’emblée une personnalité hors norme et le génie remarquable du jeune homme. A Bucarest, ses premières sculptures témoignent d’une maîtrise parfaite des proportions et de l’anatomie, comme le prouve l’Écorché qu’il assemble à partir de moulages prélevés sur un cadavre.
En 1904, persuadé qu’il doit voyager pour compléter sa formation, Brancusi part avec pour seul bagage un sac à dos, et marche pour Paris. Son voyage dure plusieurs mois et le mène à Vienne, où il découvre les trésors artistiques de la capitale autrichienne. Quelques semaines plus tard, il arrive dans la capitale française… en jouant de la flûte ! Brancusi commence alors à travailler comme plongeur dans un restaurant pour gagner sa vie tout en poursuivant sa formation aux Beaux-Arts en parallèle. Dès 1906, il expose au Salon d’Automne, protégé par le grand Auguste Rodin, membre du Jury ! Après cette rencontre, Brancusi travaille aux côtés du maître en qualité de metteur au point mais constate très vite qu’il « ne pousse rien à l’ombre des grands arbres »… Il n’est pas exagéré de dire que, déjà, le jeune sculpteur fait montre d’une énorme ambition et connaît la valeur de son génie.
A partir de 1909, tout en continuant à travailler dans l’atelier du maître, Brancusi engage un travail laborieux de recherche de son style et des thèmes principaux de son œuvre. Dès lors commencent à émerger des sculptures aux formes simplifiées, souvent inachevées ou fragmentaires. Par exemple, avec La Prière, considérée comme son premier chef-d’œuvre, le jeune artiste s’oppose à l’art de Rodin ou à l’anatomie recherchée de Michel–Ange dans son lissage et sa grande simplification de la forme. Par ailleurs, Constantin Brancusi nourrit un vif intérêt pour les formes primitives qu’il considère dans leur éloignement de la réalité comme un parfait échantillon de l’essence première de la forme, non sans faire écho à la pensée platonicienne.
Dans son atelier de l’impasse Ronsin qu’il occupe à partir de 1916, Brancusi reçoit le Douanier Rousseau, figure inclassable de la scène artistique parisienne, mais aussi Fernand Léger, Amadeo Modigliani ou encore Henri Matisse. La liste des personnalités qui gravitent autour de Brancusi est longue et comprend également des représentants de Dada ou du surréalisme comme Tristan Tzara et Marcel Duchamp. Pourtant, le sculpteur ne fera jamais partie de ces mouvements phares du début du XXe siècle. Bien au contraire, il choisira toujours de suivre sa propre trajectoire. Dans son travail, Brancusi écarte désormais toute représentation précise de l’anatomie, lui préférant la pureté de la forme qu’il perçoit comme un symbole spirituel. Ainsi, sa tête de Muse endormie prend-t-elle les contours d’un œuf, forme de la fragilité et de l’instabilité. En 1920, son œuvre Princesse X fait scandale au Salon des Indépendants, après avoir été exposée sans grand incident à New York en 1917. Matisse croit reconnaître un phallus !