Constantin Macris, peintre grec, est né au Caire le 7 avril 1917.
Après des débuts prometteurs au Caire, où il a été formé, Macris souhaite s’installer à Paris. Mais la guerre contrarie ses projets et il rejoint les Forces Aériennes Helléniques et combat aux côtés des alliés.
Ce n’est qu’en 1948 qu’il arrive enfin à Paris où il entre à l’atelier de Fernand Léger en 1949 et 1950. La qualité de son travail convainc Pierre Loeb qui lui ouvre sa galerie. En juin 1955, le magazine Constellation le mentionne parmi les dix noms de jeunes artistes à retenir, aux côtés d’Alechinsky, Corneille, Doucet ou Hantaï. À cette époque, Macris articule ses recherches autour des jeux de lumière du paysage urbain. Dans la capitale française, il rencontre son épouse, la sculptrice néerlandaise Pauline Eecen, avec qui il vit deux ans aux Pays-Bas en 1959 et 1960. Son vocabulaire plastique s’enrichit considérablement au contact de la nature humide, des ciels gris et de la grande tradition de la peinture hollandaise. En 1961, le couple s’installe définitivement en France. Macris se tourne alors vers des couleurs plus sombres et des œuvres de plus petites dimensions, ouvrant un nouveau cycle de recherche.
Constantin Macris a très vite su se détacher des leçons de ses maîtres pour adopter un langage propre et singulier. Au tout début des années 1950 en effet, Macris utilisait une palette très sombre qui lui permet d’approfondir la structure de ses sujets à la façon de natures mortes. Petit à petit, l’artiste s’imprègne de l’effervescence et de la sensation de vitesse qui guident la vie quotidienne des Parisiens. Le peintre traite les impulsions lumineuses des ampoules du métro, les éclairages publics ou les lampadaires de la ville dans des stratifications horizontales qui pourraient être mises en perspective avec des œuvres de Paul Klee.
Les années passant, Macris en arrive à éclaircir sa palette pour mettre en avant de subtiles harmonies blanches et grises dominantes. L’horizontalité des années 1953-1955 laisse progressivement place à des compositions plus élaborées plus proches de Nicolas de Staël. Ses tableaux, remarquables de cohérence et d’harmonie, à la composition et aux aplats parfaitement maîtrisés, montrent l’importance que le peintre accordait à l’aspect strictement technique de son travail. De 1954 à 1964, Constantin Macris a été sous contrat avec la galerie Pierre à Paris ; un de ses tableaux était d’ailleurs présenté à l’exposition L’Aventure de Pierre Loeb : la galerie Pierre, Paris 1924-1964 qui s’est tenue au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1979.
La peinture de Macris s’est construite en trois grandes périodes. Le point de départ est méditerranéen avec sa naissance au Caire dans une famille grecque originaire de Céphalonie. Ses œuvres de jeunesse dénotent par des couleurs intenses et des formes qui renvoient évidemment à Picasso, Braque ou Matisse. Dans l’entre-deux guerre en effet, le milieu cosmopolite du Caire était très ouvert aux évolutions de l’art contemporain.
Le projet initial de Macris de se rendre en France date de la fin des années 1930. Lorsqu’il arrive finalement à Paris en 1948, c’est une nouvelle ère qui commence pour lui. Dans la ville lumière, l’artiste découvre la jeune peinture et s’intéresse à la poésie. Son apprentissage auprès de Léger est une période clé : sa palette s’assombrit, sa ligne gagne en ampleur, les formes se simplifient… Sous le ciel parisien, le jeune Macris recherche la couleur et traque les sensations lumineuses dans la succession abrupte des lumières du métro et les miroitements des phares sur la chaussée mouillée des boulevards. Il tente de fonder un langage nouveau par la seule composition, mais abandonne rapidement l’abstraction géométrique et poursuit son exploration formelle. Il se libère ainsi par la couleur de contraintes trop formelles pour aller vers une peinture non figurative, étroitement liée à la perception de la lumière.
C’est le moment où Macris rencontre son épouse, la sculptrice néerlandaise Pauline Eecen, venue à Paris pour étudier avec Ossip Zadkine. Le couple s’installe de 1958 à 1960 en Hollande, au nord d’Amsterdam. Ces années, prolongées par de nombreux séjours par la suite, inaugurent la troisième période de la peinture de Macris. Environné de polders, de landes et de dunes, le peintre développe une palette plus claire et des compositions directement inspirées par la nature, mais de manière fragmentée, marginalement figurative. Ce citadin perçoit dans le travail sur le motif une unité plus vaste et plus riche que les effets de lumière. Le travail sur la composition acquiert un sens nouveau, de l’ordre du rapport au monde. Cette relation à soi-même et au monde ne peut qu’être absolument picturale et la nature – plus tard prolongée par la figure humaine – ouvre la voie pour accéder à cette incarnation. Cette voie nécessite aussi un médium capable d’une plus grande profondeur. La leçon de Léger s’est enrichie de dix ans d’expériences formelles et d’une longue réflexion sur la peinture. S’il a préservé la spontanéité du geste, Macris est devenu un peintre raisonné, capable d’analyser ses œuvres et celles des autres, ayant la volonté de construire méthodiquement son projet pictural. Or, il arrive en Hollande à la fin d’un cycle et pose les bases du cycle suivant.
L’élément qui lui fait défaut, mais dont il pressent la nécessité, il le trouve chez les maîtres de la peinture hollandaise et, en premier lieu, Frans Hals. Bien sûr, depuis Manet et les impressionnistes, la liste des peintres ayant fait le voyage de Haarlem est longue. Mais la révolution que ces voyageurs ont voulu accomplir a eu lieu et la peinture en a été transformée jusque dans ses fondements. Ils étaient venus voir Frans Hals pour apprendre la liberté, Macris vient chercher dans ses tableaux la voie d’une nouvelle maîtrise.
Celle-ci passe par une technique picturale tout en profondeurs : glacis, vernis, transparences superposées ouvrent la surface plane de la peinture abstraite sans recours à la perspective. Et comme elle est au service d’une pensée picturale dont le fond est la présence au monde, cette technique impose un thème nouveau et pourtant archaïque : la représentation humaine. L’approche de Macris est, là encore, systématique. Au cours de nombreuses visites à Haarlem, étalées sur des années, il analyse par des croquis, souvent commentés, et des dessins de grand format, repris à l’atelier, la manière dont Frans Hals inscrit ses personnages dans l’espace du tableau et les moyens pour y parvenir : une couleur bâtie par couches successives de couleurs translucides, créant une matière parfois opalescente. Ce sont les moyens de faire entrer la figure humaine dans la profondeur du tableau. Ce ne sont pas tant les œuvres en soi du maître de Haarlem qui retiennent son attention, mais plutôt quelques têtes ou des figures assises ou debout, une main. Les années parisiennes lui donnent une compréhension nouvelle de Frans Hals. Celle-ci tient en une rencontre de l’abstraction et de la peinture classique autour de la représentation humaine et, uniment, de la nature.
La représentation de la figure humaine va se fixer dans la peinture de Macris en quelques propositions stables : visage, tête, buste, homme assis, homme debout. Ces représentations ne sont ni individuées, au sens où elles renverraient à un individu particulier, ni génériques ou conventionnelles. Elles adoptent les traits schématisés, mais reconnaissables, plus exactement reconnus comme appartenant à l’homme qui regarde, celui qui voit le tableau et qui, se voyant dans le tableau, se voit dans le monde. Le peintre occupe naturellement cette position, en tant que tenant lieu de tout spectateur. Ce ne sont donc pas des (auto)portraits, et ne possèdent rien de ce que le portrait a nécessairement de circonstanciel, mais une invitation à prendre position dans la profondeur de l’espace pictural, sans recours à l’illusion perspectiviste.
Cette évolution a été préparée et accompagnée par un travail continu sur le motif, avec l’idée que la nature apporte des réponses aux interrogations de la peinture. Les réponses sont obtenues par une étude méthodique d’un nombre limité de motifs – champ, bosquet d’arbres, pommier ou rangée de pommiers – sur de nombreuses années. Les circonstances suscitent parfois une série particulière, comme le cycle des vingt-deux aquarelles d’un cendrier en 1976. La figure humaine apparaît comme le prolongement du travail sur la nature. Il n’y a pas de différences, sur un plan pictural, entre un pommier, un corps ou un visage. La représentation humaine s’impose pourtant progressivement dans l’œuvre, suivant la même approche raisonnée des séries thématiques.
Macris a toujours été un excellent portraitiste, comme en témoigne le portrait de Barba Spyros réalisé en 1939, mais c’est un genre qu’il n’a guère pratiqué tant que le portrait demeurait hors du champ de ses recherches. C’est ce qui change avec Frans Hals : la maîtrise technique et la richesse de celle-ci sont toujours liées à la représentation humaine. Entre 1964 et 1970, il peint au moins sept portraits de membres de la famille pour ne plus y revenir par la suite. Ces portraits montrent comment l’anecdote liée à une commande ou une disponibilité devient une occasion picturale. Ce retour à l’individu apparaît comme une étape indispensable pour l’entrée de la figure humaine dans son projet artistique.
En 1964, après la mort de Pierre Loeb, Macris refuse de travailler avec une autre galerie. Il vient alors de s’installer à la campagne, non loin de Paris. Le peintre a posé les bases d’une peinture plus structurée et ressent la nécessité de se fixer un programme méthodique auquel il se consacre entièrement, jusqu’à sa mort en 1984. Son décès prématuré en 1984 ne lui permet pas d’achever son œuvre.