Philobitude
Né en 1919 à Rodez et mort en octobre 2022 à Nîmes, Pierre Soulages est probablement le peintre français le plus connu au monde.
Figure majeure de l’art abstrait de la seconde moitié du XXe siècle, il est surnommé « le maître du noir ».
Marqué dès l’enfance par les sculptures celtiques et l’architecture romane de son Rouergue natal, le jeune homme rejoint la capitale en 1938 où il découvre les peintures de Picasso et Cézanne. Fraîchement diplômé de l’école des Beaux-Arts de Paris, il retourne à Rodez et fait la rencontre de Sonia Delaunay avec qui il se lie d’amitié et qui lui fait découvrir l’art abstrait. Dans l’immédiat après-guerre, Soulages s’installe durablement à Paris pour y faire carrière. Il y fréquente César Domela, Francis Picabia, Hans Hartung ou encore Fernand Léger.
En 1947, le jeune peintre expose à la 14e édition du Salon des Surindépendants fondé vingt ans plus tôt en réaction aux restrictions d’admission imposées par le jury du traditionnel Salon des indépendants. A l’image d’Édouard Manet dévoilant son Déjeuner sur l’herbe au Salon des Refusés de 1863, Pierre Soulages fait sensation et rencontre un succès qui ne se démentira plus. Des années plus tard, le peintre se remémorera cet événement avec humour : « J’ai souvent raconté que lors de ma première participation au Salon des Surindépendants, en 1947, Picabia et Hartung ont remarqué mes toiles. Ils en parlaient publiquement. Lorsque quelques jours plus tard, je fus présenté à Picabia dans un vernissage, il me dit : « Vous êtes si jeune ! Du coup, je ne peux que répéter à votre égard ce que Pissarro m’a dit lors de notre première rencontre : Jeune homme, si vous faites une telle peinture, vous allez avoir beaucoup d’ennuis… ». La proximité intellectuelle et artistique de Pierre Soulages avec l’Allemand Hans Hartung est forte. Leur point commun ? Être parvenus à s’imposer tous deux à contrecourant des mouvements dominants que sont alors le Surréalisme et l’abstraction géométrique. Face à l’explosion mondiale du Pop Art et de l’art conceptuel dans les années 1960 et 1970, l’un comme l’autre suivent leur ligne abstraite. A cet égard, ce sont les participations de Pierre Soulages aux Dokumenta de 1955, 1959 et 1964 qui permettent de l’asseoir définitivement au premier rang des figures de l’art contemporain international. Un temps associé au tachisme, un style de peinture abstraite très répandu en France dans les années 1950, Pierre Soulages est également connu pour ses estampes (gravures, lithographies, eaux-fortes, sérigraphies…) et ses sculptures. Depuis ses débuts, l’artiste fait de la lumière une matière à part entière aussi capitale qu’un pigment pour réaliser une œuvre.
A partir de 1979, Pierre Soulages continue à se renouveler et explore de nouveaux horizons plastiques avec sa série des « Outrenoirs » qui joue des effets de lumière sur des surfaces entièrement recouvertes de pigments noirs. Cette idée révolutionnaire permet à Soulages de structurer un espace pictural qui, bien que n’utilisant qu’une seule couleur, ne ressemble en rien aux monochromes qu’on connaissait jusqu’alors. Dans la lignée des ready-made des années 1910 de Marcel Duchamp, Malevitch avait en effet bousculé l’art moderne en proposant le tout premier monochrome de l’histoire (Carré noir, 1915). Soixante-quatre ans plus tard, l’autodidacte Pierre Soulages renverse la table en surpassant le principe même du monochrome et invite ainsi le regard du spectateur à un voyage non descriptif et poétique dans ses tableaux.
De 1987 à 1994, Pierre Soulages réalise 104 vitraux pour l’église abbatiale romane Sainte-Foy de Conques, au cœur de l’Aveyron qui l’a vu naître. En 2001, le peintre français est le premier artiste vivant à exposer au Musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg et à la Galerie Tretiakov de Moscou. En 2007, le musée Fabre de Montpellier lui dédie une salle entière, fruit d’une donation d’une vingtaine de tableaux de 1951 à 2006. En 2009 et 2010, le Centre Georges Pompidou lui consacre une importante rétrospective. Enfin, en mai 2014, le spectaculaire Musée Pierre Soulages, réalisé par le trio d’architectes Rafael Aranda, Carme Pigem & Ramon Vilalta, a ouvert ses portes dans sa ville natale de Rodez.
Pierre Soulages décède le 25 octobre 2022 à Nîmes, à l’âge de 102 ans.