Philobitude
Architecte de formation, Tsingos travaille à Athènes jusqu’au début de la seconde guerre mondiale
Durant ces années difficiles, le jeune soldat rejoint le Proche-Orient où le commandement allié le condamné à mort pour activisme politique. Sa peine est finalement commuée en emprisonnement.
Après un passage au Brésil, où il visite le chantier de la ville de Brasilia de l’architecte Oscar Niemeyer suivant le conseil que lui avait donné son ami Le Corbusier, Tsingos s’installe à Paris en 1947 où il rencontre sa future femme. D’abord tourné vers le théâtre d’avant-garde, l’artiste grec s’investit finalement corps et âme dans la peinture, épousant le mode de vie bohème de ses confrères peintres.
Critique d’art ayant fréquenté et collectionné les plus grands artistes de son temps (Hantaï, Poliakoff, Soulages…), Charles Estienne est le premier à qualifier Thanos Tsingos de tachiste. C’est en 1953, à l’occasion d’une exposition à la galerie Paul Facchetti, qu’Estienne écrit ces lignes : « la surface plane, les couleurs en un certain ordre… quelle mise à la question ne subissent-elles pas, dans la peinture de Tsingos… Ce n’est pas, cependant, qu’un certain ordre ne règne pas ici, et avec quelle violence ! Mais ce n’est pas un ordre certain, l’ordre trop certain de cette légalité plastique qui exige que l’on respecte la bonne conscience et l’équilibre ». Tsingos « peignait par terre et plusieurs toiles à la fois. Il mettait ses toiles par terre et à côté des dizaines d’énormes tubes de couleur comme un incendiaire qui met le feu à une ville (…). Il savait très bien où il allait. Tantôt il secouait la toile, tantôt il la renversait complètement, tantôt il la penchait à peine mais quand il avait fini, tout avait pris sa place, tout suivant l’ordre ». De ce fait, Tsingos peut aisément être relié à l’art informel et à la peinture gestuelle.
Au début des années 1960, les Fleurs deviennent l’un des thèmes de prédilection de Tsingos. La célèbre galeriste parisienne d’origine grecque Iris Clert raconte même qu’à l’issue d’une des expositions de l’artiste, les invités repartaient avec les pétales de fleurs de Tsingos sur leurs robes. Pour ce faire, l’artiste peint à même les doigts et vide ses tubes à même la toile, donnant ainsi texture et relief à ses compositions. Débordant d’intensité, ses tableaux montrent la fascination de l’artiste pour la matérialité de la peinture, rappelant évidemment le dripping de Jackson Pollock. L’immédiateté d’exécution, qui rappelle l’écriture automatique surréaliste, pousse le regard du spectateur à parcourir les lignes vigoureuses et énergiques tracées par le peintre. Artiste instinctif, Tsingos est l’un des peintres européens qui a su le mieux répondre à la rhétorique de l’expressionnisme abstrait américain tout-puissant dans l’immédiat après-guerre.
Bien que souvent affilié à la Seconde École de Paris, Tsingos défie en réalité toute classification, même si l’art informel, théorisé par l’écrivain Michel Tapié, est encore l’expression qui lui conviendrait le mieux. Grâce à Jean Dubuffet, Willem De Kooning ou Alberto Burri, l’art informel s’est fait connaître en mettant en avant un style défiant les enseignements classiques de la composition et du trait et en insistant sur l’irrationalité et la liberté de la forme. C’est exactement ce type de spontanéité qu’exprime la peinture de Tsingos.
Thanos Tsingos meurt à Athènes à l’âge de 50 ans alors qu’il commençait à rencontrer le succès international. Mal compris des amateurs grecs, mais fort apprécié des collectionneurs français dès les années 1950, Tsingos fait aujourd’hui encore office d’ « artiste maudit » aux yeux de ses compatriotes.